La Décroissance, le mensuel des objecteurs de croissance

Critique du livre de Jacques Attali, Une brève histoire d’avenir

Texte paru dans La Décroissance n°37, mars 2007, reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur.

Jacques Attali, l’ancien « conseiller spécial » du président Mitterrand, fut voici trente ans un contempteur de la croissance. Dans une revue intitulée « Objecteurs de croissance » publiée en 1972, il écrivait par exemple : « Il est un mythe, savamment entretenu par les économistes libéraux, selon lequel la croissance réduit les inégalités. Cet argument permettant de reporter à “plus tard” toute revendication redistributive est une escroquerie intellectuelle sans fondement. » Michel Rocard ou Jean-Pierre Chevènement participèrent conjointement à cette revue. Jacques Attali a même signé un livre, L’antiéconomique (éditions PUF, 1974), que ne renieraient pas les objecteurs de croissance sur certains points, comme par exemple cette phrase : « La croissance économique des pays riches crée les conditions d’une dépendance croissante des pays pauvres. La notion même de “sous”-développement traduit cette dépendance dans la mesure où elle implique une vision hiérarchique de l’évolution. » Les temps ont bien changé depuis.
À la question : « Est-ce que la solution à la crise écologique passe forcément par la décroissance ? », aujourd’hui Jacques Attali répond : « C’est comme si, à la fin du XIXe siècle, on avait dit : arrêtons la croissance parce que le crottin de cheval va envahir Paris. Il faut orienter la croissance dans le sens de l’environnement*. »
Son dernier livre, paru chez Fayard en janvier, Une brève histoire d’avenir, présente ses solutions : « modifier les semences agricoles », « engager le stockage de l’hydrogène gazeux dans des nanofibres », « des piles à hydrogène sous haute pression », « des moteurs hybrides produisant de l’hydrogène en continu par électrolyse », « les biomolécules de l’ADN et les peptides », et bien sûr le nucléaire, grâce auquel la France dispose « d’une autonomie énergétique unique au monde ». Sauf que… 100 % de l’uranium, le combustible des centrales nucléaires, est importé et que le nucléaire représente 15 % seulement de la production énergétique totale de la France.

Tout est hyper
Jacques Attali est un fan du délire technoscientiste à la Claude Allègre, mais c’est aussi un devin : son livre décrit le prochain demi-siècle « qu’il est tout à fait possible de dessiner ». Chapeau ! À l’image du génie de cet être d’exception, dans le futur, tout sera « hyper » : « hyperdémocratie », « hyperempire », « hypernomade », « hyperclasse »… et tout se terminera dans un « hyperconflit » au cours duquel toutes les armes du monde seront utilisées.
Pour expliquer le déclenchement de l’« hyperconflit », l’auteur adopte la théorie nauséabonde du « choc des civilisations » menant à un affrontement inéluctable entre la chrétienté et un Islam présenté comme intrinsèquement belliciste.
On pourrait croire que seuls les rats et cafards réchapperaient de cette apocalypse nucléaire, eh bien pas du tout : des « transhumains » géniaux apparaîtront et créeront une avant-garde éclairée pour sortir l’humanité du péché. À quoi ressembleront-ils (à part à Jacques Attali mais ça on s’en doute) ? À des milliardaires philanthropes et à la femme de Bill Gates : Melinda Gates ! Car « les femmes seront plus aisément transhumaines », « trouver son plaisir à faire plaisir est le propre de la maternité ». Bonjour l’enfermement dans le déterminisme du genre ! Vers 2050, le gouvernement des « transhumains » éradiquera le dérèglement climatique et autres méchancetés grâce à une « gelée bleue », « arme nanotechnologique absolue ». Gloups !
Dans le monde de notre extralucide Attali, tout est « polycentrique » et les objets sont « nomades », « expression que j’ai [Jacques Attali] introduite en 1985, bien avant que ces objets n’apparaissent, et qui, depuis lors, s’est installée dans de nombreuses langues ». « Hypermégalo » Attali, ce n’est pas nouveau.

Monument historique
Jacques Attali fait preuve d’un aveuglement total quant aux conséquences sociales et géopolitiques du dérèglement climatique. Il passe en quelques lignes sur le pétrole sans évoquer la problématique du pic, de toute façon « l’équivalent de dix ans de consommation mondiale (…) pourrait se trouver, dans le désert de l’ouest » de l’Irak. Cette dernière affirmation est une reprise, sans vérification, de la propagande étatsunienne pour justifier la guerre contre ce pays. Jacques Attali envoie l’Afrique aux oubliettes en un paragraphe car « le climat y rend difficile l’organisation du travail ». L’ancien conseiller spécial du président Mitterrand se désole de la faible croissance française. D’ailleurs, pour lui, la « croissance économique étendra le champ de la démocratie : aucun régime autoritaire n’a jamais résisté durablement à l’abondance ». La Chine ou les Émirats arabes sont là pour prouver le contraire et nous savons que désormais le capitalisme comme la société de consommation n’ont plus besoin de la démocratie.
Il faut lire Une brève histoire d’avenir. C’est un témoignage pour l’histoire. Nos descendants y découvriront le type de personnages qui ont influencé les puissants et les médias de notre époque. Nos successeurs concluront sûrement que, soit Une brève histoire d’avenir a été écrit sous l’emprise de la drogue, et c’est rigolo, soit l’auteur était à jeun, et que dans ce cas c’était vraiment grave.
Vincent Cheynet

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